the secret's out ! - daisy

Daisy avale les pas jusqu'au phare, pressée de retrouver Mara. Elle a cette façon singulière de se mouvoir, souple, féline mais surtout aérienne. Ses foulées trop vives effleurent à peine le sol et parfois elle imagine même qu'il lui suffirait d'étendre les bras pour s'envoler, si elle le désirait vraiment. Une autre chimère, bien sûr, parce que Daisy, c'est une fille du vent, elle est dans la lune, la tête dans les étoiles, et a toujours apprécié l'ivresse de la hauteur, les vertiges et l'adrénaline, grimper dans les arbres, glisser sur une poutre et se balancer à un trapèze. Elle aurait aimé être cette fille plume, plus légère que l'air, dépeinte dans miss peregrine mais elle, elle n'aurait pas eu besoin de ses souliers d'acier pour se maintenir au sol. Elle serait enracinée par ses amis, ses proches, et l'idée l'a souvent fait sourire même si elle lui reconnaît un goût amer, métallique, alors que la situation entre eux est tendue. Mara, à côté de la colocation, c'est une bouffée d'oxygène, une bulle de nostalgie cotonneuse et la sensation d'être à la maison, près d'elle. Elle ne se résume pas seulement à une cousine : c'est sa seconde famille, celle chez qui elle venait se réfugier dès qu'elle se sentait de trop, chez elle. C'est à dire tout le temps. Quand Mara est arrivée à Redcliff, avec sa grise mine tristoune d'abandonner sa vie pour ce village minuscule, Daisy s'est jurée de lui faire aimer son quotidien. Elle s'est promis d'être toujours là pour elle, de l'aider à s'intégrer, de l'entraîner avec elle, de ne rien lui cacher de ses endroits préférés, des commères à éviter parce que sa présence, ici, tenait du petit miracle pour la môme, un poumon supplémentaire pour elle qui ne respirait qu'à moitié, prisonnière de l'étroit carcan familial.

Daisy frissonne dans son perfecto trop léger et se hâte, les veines brûlant d'impatience. Patiente, elle ne l'a jamais été et encore moins lorsque sa curiosité est piquée et que son esprit créatif s'emballe derrière des dizaines de scénarii incongrus. Parce que le phare et le lac au sein duquel il se mire sont symboliques, c'est le lieu sacré des confidences honteuses ou inavouables, des secrets dévoilés et des jolies promesses. Il a bercé leur complicité depuis si longtemps que Dee en connaît les moindres recoins et les rattache à elle, à elles surtout. Il y a d'ailleurs leurs initiales entrelacées, non pas dans un coeur mais au sein d'un joli symbole d'infini, qui trônent gaiement sur la table en bois délavée, la même qui a accueilli des larmes et des éclats de rires et qui semble ployer sous les victuailles qu'elle aperçoit au loin, et qui démangent la commissure de ses lèvres. C'est tout Mara, ça, touchante, prévenante. Daisy, elle, n'a fourré qu'une flasque et un paquet de clopes dérobé à l'appart (à qui ? excellente question) dans ses poches avant de partir. Elle a la nostalgie férocement accrochée à ses chevilles, sous ses talons, alors bien sûr, il a fallu qu'elle emporte avec elle la parfaite panoplie de leur adolescence : la vodka qui brûle les boyaux et délie les langues et les cigarettes à peine fumées, là juste pour leur offrir ce goût d'interdit, l'illusion d'être grandes. Mara avance jusqu'à elle et le visage expressif de Dee se fend d'un large sourire qui s'épanouit à mesure qu'elles se rapprochent. « Salut toi. » roucoule-t-elle en embrassant son front, avant d'offrir à Mara l'une de ses étreintes étouffantes, qui pourraient rester ainsi jusqu'à ce qu'elle se mêle à celui qu'elle câline, comme une extension de son être. Derrière sa soif d'indépendance et ses envies de liberté, elle est tactile, Dee et surtout, elle est possessive en amitié, quand bien même elle déteste qu'on essaye de l'être avec elle. Mara s'enquiert de son état et elle élude discrètement, parce qu'elle est fatiguée de se poser elle-même la question. Bien sûr que ça va, tout devrait aller comme sur des roulettes parce que Daisy est immuable, d'humeur égale et mutine, pétillante et facile. Et pourtant, ce n'est pas le cas et tout ce qu'elle sème, tous les dommages collatéraux que ses butinages de papillon insouciant laissent derrière elle sont sur le point de la rattraper et de la dévorer tout cru. Mais peu importe. Les yeux rivés sur les pâtisseries, elle oublie de répondre pour venir s'asseoir en tailleur sur la table et y déposer son maigre butin d'adulescente. Daisy conserve un rare silence le temps d'un battement de paupière avant de darder ses yeux de chat sur le visage d'ange de Mara. « Bon, le suspense a assez duré cousine. Qu'est-ce qu'on fait ici ? » Sa voix s'agite d'entrain comme un torrent et elle trépigne, Daisy, malgré un suspense qui a duré... à peine trente secondes. « J'imagine que c'est une sacrée nouvelle, parce que sinon on serait pas dans notre sanctuaire. Une bonne au moins ? » Elle plisse légèrement ses opales brillantes, dans une vaine tentative de déchiffrer les traits sibyllins de Mara. C'est peine perdue, Daisy est bien trop focalisée sur ses fossettes adorables, qu'elle lui a toujours enviées. Gamine, elle avait même failli s'entailler les joues avec son ciseau à bout rond, convaincue qu'il suffirait de creuser un peu pour en faire naître sur sa peau. Heureusement, l'indélicatesse coutumière d'un Grey âgé de neuf ans l'avait sauvé, en affirmant que ça la rendrait seulement moche. Dee avait oublié ses envies de fossettes et sa nouvelle lubie pour courser son ami et essayer de lui faire manger de la terre pour laver cet affront. « De toute façon si c'est une mauvaise nouvelle, je t'arrête tout de suite, je veux rien entendre. » On pourrait croire qu'elle plaisante, Daisy, avec son timbre caressant de plume mais il suffit d'observer un seul instant son visage de poupée à l'air féroce pour comprendre que non, elle est sérieuse. Sérieuse et têtue, butée bornée même. Alors si Mara est gravement malade, si quelqu'un de sa famille l'est, et bien Dee ne veut pas savoir parce qu'elle a l'impression que ce serait le coup de trop, celui qui craquellerait ses fêlures jusqu'à détruire ses fondations aussi efficacement que des termites sous sa peau.